Barnier : à quoi s'attendre ?

07/09/2024

La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre soulève plusieurs réactions divergentes. Parfois exagérées, parfois légitimes :

1/ La réaction du camp de gauche : "c'est un vol de la démocratie !"

La gauche, première à demander la fin de l'élection du président au suffrage universel et le rétablissement d'une démocratie parlementaire, devrait observer à l'étranger la manière dont elle prend forme. Est-ce le parti ou la coalition arrivée en tête qui gouverne ? Non, pas toujours.

  • En Suède, en 2022, les socialistes arrivent en tête, suivis de l'extrême droite est des modérés. C'est pourtant du rang de ces derniers qu'est issu le premier ministre, grâce à une alliance avec deux autres partis et l'abstention de l'extrême droite.
  • En Espagne, mon exemple préféré, le PP (droite) arrive en tête en 2023 devant le PSOE, sortant. C'est pourtant ce dernier qui recompose le gouvernement avec les mélenchonistes espagnols, Sumar, pourtant arrivés quatrièmes.
  • En Pologne, alors que les conservateurs du PiS arrivent en tête, c'est le centriste Donald Tusk qui ravit le contrôle du gouvernement en faisant alliance avec la "Troisième Voie" et la gauche.
  • En Roumanie, en 2019, alors que la gauche obtient le meilleur score, c'est un premier ministre de centre droit qui émerge (coalition qui sera d'ailleurs très instable et a mené aujourd'hui à une union nationale droite-gauche).
  • L'an dernier, en Bulgarie, les deux partis ayant obtenu le meilleur résultat font alliance, mais c'est du deuxième qu'est issu le chef du gouvernement...

Et tous ces exemples datent au plus tôt de 2019 ! Ils se multiplient en remontant davantage le temps. L'enseignement que l'on peut en tirer est que seule la capacité de dialogue permet de déterminer l'aptitude à gouverner, et non le seul score obtenu à une élection. 

Dans le cas des dernières législatives françaises c'est encore plus particulier, parce que l'on distingue le nombre de parlementaires élus du vote populaire, exactement comme en 2016 lorsque Donald Trump devient président des États-Unis : son adversaire Clinton avait obtenu 3 % de plus au niveau national, mais la répartition géographique et la désignation des grands électeurs en conséquence a bénéficié à Trump. Cette année, le même cas se présente avec le Nouveau Front Populaire, pourtant battu par le RN par le vote populaire, mais que le système électoral par circonscriptions permet d'arriver en tête du nombre de députés. Comment se fier à un tel résultat et le présenter comme un vote majoritaire ? Une nouvelle fois, gouverner n'est pas un du, ni la suite logique d'un signal, mais le fruit d'une capacité de dialogue dont la gauche a été incapable.

2/ La réaction des souverainistes : "Barnier est européiste donc inféodé à Macron et foncièrement dangereux pour le pays"

Une nouvelle fois, ce positionnement est à nuancer. Je comprends et partage les frustrations à la vue de la désignation d'une nouvelle personnalité qui a voté OUI en 2005. Mon seul regret est de ne pas avoir été majeur cette année pour insérer un bulletin NON avec un enthousiasme non dissimulé. Mais je ne limiterai pas notre nouveau Premier ministre à cela. Il y a un personnage que je ne supporte absolument pas, François Asselineau, qui a pourtant rappelé les mises en garde que Michel Barnier a pu adresser à l'UE et à la France tout au long de sa carrière : sur les politiques publiques que nous ne maîtrisons plus, sur les ingérences étrangères dont les traités européens se rendent complices et sur les directions dans lesquelles infléchir ces derniers. Si le savoyard s'avère beaucoup plus pragmatique que les "frexiteurs" pour lesquels on l'a parfois fait passer, le peindre en eurobéat ne suffirait pas à expliquer l'entièreté du personnage. Et enfin, quel rapport avec Emmanuel Macron ? De nombreuses personnalités très européistes à gauche ne seraient pas inféodées à Macron pour autant. Rien ne sert de parler avant que le film ne démarre...

3/ "Il n'est pas un premier ministre de cohabitation", ou au contraire, "il va détruire ce que Macron a construit" 

Inutile de me répandre, je me contenterai de répéter cette phrase : "Rien ne sert de parler avant que le film ne démarre".

Alors, que prévoir pour ces quelques mois, voire cette année à venir ?

  • La nomination de Michel Barnier provient en premier lieu de l'incapacité de la gauche à faire preuve de compromis, et c'est bien ce qui valide la position d'Écologie Positive et Territoires et des Universalistes - Homme Animaux Planète d'un gouvernement d'union républicaine. Si les instances nationales du PS avaient fait preuve d'une plus grande indulgence à l'égard de Bernard Cazeneuve, sa nomination eût été rendue possible. 
  • Cette nomination est permise par un échange qui a clairement eu lieu avec le RN. Ce dernier exige une réforme du mode de scrutin des échéances législatives pour ne plus subir ce front républicain par circonscription qui lui a été fatal, malgré le vote populaire. Et bien entendu, dès que la réforme sera votée, il suffira au parti à la flamme de voter "oui" à l'une des 75 612 motions de censure que la gauche s'apprête à déposer pour déclencher la dissolution de l'Assemblée et la consultation électorale nouvelle. L'on doit en déduire que le gouvernement Barnier ne durera vraisemblablement pas plus d'un an, même si ce dernier, bon connaisseur des institutions, serait inspiré de retarder l'examen du projet de loi par le Parlement...

Ce qui est acquis à la décharge de Michel Barnier : 

  • Sa capacité de négocier. Que l'on aime ou non son rôle dans le Brexit, celui-ci confirme ses capacités et sa ténacité dans l'exercice de la négociation. Une compétence bien utile en des temps aussi instables...
  • Sa capacité à travailler avec des obédiences politiques différentes. Les différentes commissions européennes ont systématiquement fonctionné avec des alliances, parfois entre la droite et la gauche, parfois avec le centre comme force d'appoint.
  • Sa fidélité à la droite républicaine, au grand contraire d'Edouard Philippe, Jean Castex, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire... Cela ne garantit pas une réelle cohabitation (qui ne serait d'ailleurs pas forcément légitime au vu du poids national de la droite), mais à minima une plus forte personnalisation du troisième personnage de l'État et une influence d'Emmanuel Macron limitée sur son action.

Ce à quoi l'on peut s'attendre : 

  • Un soutien à l'Ukraine maintenu, mais en meilleure intelligence, sans faiblir ni surjouer, en adaptant l'aide à l'Ukraine à ce dont cette dernière a vraiment besoin.
  • Une meilleure posture vis-à-vis des exigences de l'Union européenne, au vu de ses capacités de négociateur et de sa bonne connaissance d'Ursula von der Leyen et de Christine Lagarde.
  • Une absence de positionnement réel sur la réforme des retraites. Si celle-ci est abrogée par l'Assemblée nationale, je ne vois pas Barnier interférer pour empêcher le Parlement de s'exprimer, ni remettre le sujet sur la table.
  • Aucune amélioration sur le bien-être animal... Nous n'aurons pas de chance cette année...
  • Un exercice du pouvoir plus respectueux du Parlement et des Français.
  • Quel que soit le bilan du gouvernement Barnier, je m'attends à ce que les candidats bénéficiant de son soutien en vue des prochaines élections législatives seront ceux de la droite républicaine. Le camp présidentiel, lui, devrait littéralement s'effondrer car soutenu par le seul Emmanuel Macron, moins présent sur le terrain national, plus détesté que jamais... Seuls les élus Horizons peuvent espérer sauver des sièges, à moins que Gabriel Attal bénéficie du même - très surprenant - état de grâce qu'Edouard Philippe...

Ce que l'on peut espérer, mais que seul l'avenir nous confirmera :

  • Un plus grand volontarisme sur les questions régaliennes, à commencer par les aspects migratoires.
  • Une meilleure maîtrise des finances publiques, peu d'ambitions en termes d'investissement mais, avec un peu de chance, une réduction de la dette.
  • Une prise en compte limitée mais sérieuse, non cosmétique, des questions écologiques.
  • Quelques mesures sociales afin de s'éviter une trop grande hostilité de la gauche, comme le laisse présager la première intervention du premier ministre Barnier sur TF1.

Une année qui s'annonce difficile, intéressante, différente, et qui mérite toute notre attention !